Le paradoxe est saisissant : dans des pays où l’accès aux ressources reste fragile, l’innovation représente souvent la clé de la survie économique et sociale. Pourtant, cette innovation peine à émerger avec la vigueur que l’on observe dans les pays industrialisés. Qu’est-ce qui freine ces dynamiques créatrices ? Et surtout, comment les encourager de façon tangible, sans céder aux slogans creux ni aux solutions génériques trop souvent proposées ?
Un terrain fécond, mais encore sous-exploité
Les pays en développement disposent d’un potentiel d’innovation important, mais sous-exploité. Combien de fois a-t-on entendu que dans des régions d’Afrique ou d’Asie, l’ingéniosité locale compense le manque d’infrastructures ? Des entrepreneurs inventent des solutions low-cost pour pallier un problème d’eau, d’énergie ou de santé. Pourtant, ces idées brutes, souvent fragiles, ne franchissent que rarement le cap de la commercialisation ou de l’industrialisation.
Les mécanismes classiques du développement économique – financements, marchés, formation, structures de recherche – peinent à s’adapter. Le retour de l’état providence dans certains pays, que certains jugent comme un frein, pourrait en réalité se transformer en un levier si l’État joue son rôle d’animateur et de régulateur. D’autre part, les PME, qui constituent souvent la colonne vertébrale économique locale, doivent apprendre à s’adapter à une instabilité économique chronique sans perdre leur capacité d’innovation.
Un cadre institutionnel et financier à revoir
Le premier frein à l’innovation reste l’accès au financement. Pourtant, il existe aujourd’hui des mécanismes internationaux de soutien, notamment encadrés par le Programme d’action d’Addis-Abeba, qui offre un cadre mondial de financement du développement. Néanmoins, ces mécanismes peinent à toucher efficacement les innovateurs locaux. La complexité administrative, le manque de visibilité des projets ou encore la crainte des investisseurs face aux risques élevés bloquent les initiatives prometteuses.
Les institutions nationales doivent donc se réinventer, en simplifiant les procédures pour encourager la recherche et en favorisant le partenariat public-privé. De plus, la mobilisation des talents étrangers et la coopération scientifique transnationale, promues notamment par le G7 et le Human Frontier Science Program, peuvent générer un transfert de compétences vital pour consolider les écosystèmes locaux.
Le défi des infrastructures et des technologies de l’information
Un autre aspect crucial réside dans l’accès aux infrastructures technologiques. L’essor des technologies de l’information et de la communication (TIC) ouvre des perspectives inédites. Pourtant, dans de nombreux pays en développement, l’accès à internet, à un réseau stable et à des plateformes numériques sécurisées reste un défi. Ce manque d’infrastructures ne dessert pas seulement les innovateurs, mais creuse aussi les inégalités entre générations, accentuant le fossé numérique.
Faciliter l’accès aux TIC, promouvoir la science ouverte et les données en libre accès sont des mesures qui semblent anecdotiques, mais qui créent un véritable effet levier. L’exemple des initiatives internationales, comme la COPUOS qui agence les lignes directrices pour la réduction des débris spatiaux en coopération avec des agences telles que l’Union internationale des télécommunications, illustre bien comment la collaboration et le partage d’informations favorisent un environnement propice à l’innovation.
Rôle clé de la formation et de la diffusion des savoirs
Une innovation durable ne peut émerger que quand il y a un investissement massif dans la formation et dans une culture scientifique partagée. Dans de nombreuses zones, les systèmes éducatifs ne sont pas toujours calibrés pour valoriser la pensée créative, les compétences numériques ou l’entrepreneuriat.
Favoriser la mobilité internationale des chercheurs, mais aussi celle des entrepreneurs innovants, permet une circulation des idées essentielle. Par ailleurs, l’inclusivité doit être un axe de travail prioritaire : intégrer les femmes, les jeunes, les populations marginalisées au cœur des processus d’innovation ne devrait pas être une option, mais une condition sine qua non du développement économique durable.
Une innovation au service d’un développement durable et équitable
Le lien entre innovation et développement durable est souvent évoqué, rarement appliqué avec rigueur. Les projets innovants doivent être pensés comme des réponses aux enjeux locaux – qu’ils soient environnementaux, sociaux ou économiques – dans une perspective d’équilibre global. Cela exige que les technologies émergentes, comme la blockchain ou l’intelligence artificielle, s’adaptent aux réalités spécifiques des pays en développement. Elles doivent améliorer la productivité tout en étant accessibles et respectueuses des ressources.
Les objectifs de développement durable (ODD) fixés par les Nations unies servent de boussole, mais il faut dépasser l’aspect théorique pour favoriser une croissance économique inclusive. L’investissement dans la recherche scientifique et technique devient stratégique face aux défis, qu’il s’agisse des crises climatiques, sanitaires ou sociales. Et cela sans céder à l’écueil du court-termisme, souvent prégnant dans les zones à forte instabilité.
Quels leviers concrets pour transformer ces idées en actions ?
Encourager l’innovation dans les pays en développement nécessite de s’attaquer aux racines : lever les barrières financières, réformer les cadres institutionnels, améliorer l’accès aux technologies tout en promouvant une science ouverte et inclusive. Mais il faut surtout penser ces actions comme un tout, où la coopération internationale joue un rôle central. La coordination entre acteurs locaux et globalisés est indispensable, mais aussi complexe à gérer.
Les enjeux ne sont pas uniquement économiques. Il s’agit de redessiner les capacités des pays, de leur permettre non pas seulement d’adapter la technologie importée, mais de créer et piloter leurs propres technologies. Et surtout, de penser cette démarche dans une dimension humaine, où les innovations participent à la réduction des inégalités, qu’elles soient économiques, générationnelles ou territoriales.
Sur ce point, les dynamiques récentes montrent un mouvement paradoxal mais porteur d’espoir : c’est souvent dans l’adversité que naissent les innovations les plus originales, adaptées et durables. Comment alors mieux accompagner ces talents – parfois isolés, parfois démunis – pour qu’ils deviennent les artisans d’un futur économique qui ne laissera personne au bord du chemin ?
Pour en savoir plus sur les mécanismes économiques et sociaux qui influencent cette question, retrouvez également nos analyses sur les inégalités entre générations, l’adaptation des PME face à l’instabilité économique ici, ou encore l’impact des migrations sur les économies développées dans cet article.
Au cœur du défi, rester vigilant face aux risques que représentent certaines innovations débridées. L’essor des cryptomonnaies, par exemple, constitue à la fois une opportunité et un risque majeur pour les économies fragiles, comme souligné dans cette étude ci-dessous. Ce cas illustre la nécessité d’une régulation intelligente et d’un accompagnement stratégique des innovations.
Enfin, quel modèle de développement technologique imaginer quand le retour de l’État providence – sous certaines formes renouvelées – peut, paradoxalement, devenir un catalyseur d’innovation dans ces économies souvent en crise ? Cette question mérite une réflexion approfondie, loin des poncifs, explorée dans ce texte ici.
Rien n’est acquis, tout reste à bâtir, et cela commence par donner plus que des outils : un vrai pouvoir d’innover, adapté aux réalités, capable d’embrasser la complexité du monde d’aujourd’hui.