La fiscalité n’est plus seulement une affaire d’économie ou de chiffres, elle est devenue un marqueur puissant du combat pour la justice sociale. Pourtant, derrière ce mot aux allures techniques se cache une question simple mais cruciale : peut-on vraiment réussir à taxer équitablement dans une société où les inégalités explosent sans freins ?
Une progressivité fiscalement défaillante
Ce qui apparaissait comme acquis — que les plus riches paient une part plus importante au titre de l’impôt sur le revenu — se délite. La France, pourtant héritière d’un système fiscal progressif, voit sa progressivité remise en question par des centaines de niches, crédits d’impôt et autres échappatoires légales. Le constat est sévère : plus de 400 dispositifs permettent aujourd’hui d’optimiser la fiscalité, avec certains spécifiquement conçus pour soutenir des secteurs peu compatibles avec la transition écologique.
Depuis 2018, la tendance à éloigner les revenus du capital du barème progressif — notamment via le fameux prélèvement forfaitaire unique à taux fixe — a creusé davantage le fossé entre fiscalité et justice sociale. Et au lieu d’une courbe continue et logique, l’impôt se heurte à des tranches arbitraires, générant des effets de seuil qui pénalisent plus qu’ils n’incitent.
Complexité et opacité : les ennemis d’une juste contribution
La lourdeur et l’opacité du système fiscal ne sont pas de simples défauts techniques. Ils créent une méfiance sourde et une incompréhension généralisée. La confusion entre taux marginal – censé ne s’appliquer qu’à la dernière tranche de revenu – et taux effectif – calculé sur l’ensemble des revenus – illustre cet étouffement démocratique. Ce manque de clarté fragilise la légitimité de la contribution et empêche un débat public éclairé.
Ajoutez à cela un système fiscal qui taxe massivement les revenus du travail et les classes moyennes mais laisse passer les revenus financiers et le capital moins imposés, et vous obtenez un cocktail dangereux : injustice ressentie, sous-financement chronique des services publics, et un État qui doit continuellement composer avec les contraintes européennes et les exigences d’austérité.
Impôt ABC : un modèle fiscal réinventé
Face à ce portrait inégal, des solutions émergent. L’Institut Rousseau propose l’impôt ABC, un modèle innovant et continu qui supprime les tranches tout en assurant une progressivité forte et transparente. Il repose sur trois seuls paramètres : le taux effectif maximal, le seuil d’entrée dans la taxation, et un coefficient de progressivité.
Son intérêt principal ? Éliminer les effets de seuil et assurer que le taux d’imposition ne baisse jamais avec le revenu, ni même le taux marginal, garantissant ainsi une fiscalité réellement progressive. Cette méthode pourrait aussi s’appliquer aux impôts sur les successions, sociétés et même plus-values, modifiant radicalement la répartition de l’effort fiscal.
Réduire les niches pour restaurer la justice
Parallèlement à ce nouveau barème, la suppression drastique des niches fiscales est une étape incontournable. En 2019, près de la moitié des allègements fiscaux ont bénéficié à seulement 9 % des contribuables, souvent les plus riches. Cette concentration va à l’encontre des principes de redistribution et fragilise le financement des services publics et des investissements écologiques nécessaires.
Concrètement, il s’agit aussi de réorienter la fiscalité en supprimant ces « cadeaux » à des activités polluantes, au profit d’incitations positives pour la transition écologique. La fiscalité doit cesser d’être un simple outil de compensation et devenir un moteur de transformation sociale et environnementale.
Taxer le capital et les transactions financières : des leviers sous-exploités
Un autre angle d’attaque réside dans l’imposition des revenus du capital. Les ultra-riches, dont une part majeure de revenu provient de cette source, profitent du système actuel où le prélèvement forfaitaire unique réduit leur contribution. L’impôt ABC pourrait ici réintroduire une progressivité saine et indispensable.
De plus, la taxe sur les transactions financières, souvent délaissée, pourrait être augmentée et étendue aux produits dérivés et aux transactions intra-quotidiennes. Un levier puissant pour dissuader la spéculation, augmenter les recettes publiques, et donc participer à une meilleure justice fiscale.
L’impôt « anti-évasion » : une extension nécessaire de la souveraineté fiscale
Dans une économie mondialisée, l’évasion fiscale demeure un frein majeur à la justice sociale. L’instauration d’un impôt universel sur la nationalité, calqué sur le modèle américain, pourrait pallier les échappatoires liées à la nationalité et à la domiciliation fiscale. Ce mécanisme, soutenu par une coopération internationale renforcée entre les administrations fiscales, serait un véritable pas vers l’équité et la souveraineté citoyenne.
Justice sociale et fiscalité équitable face aux positionnements politiques
Sur ce terrain, les propositions politiques divergent fortement. Certains refusent l’idée même d’une fiscalité plus progressive, préférant exonérer les personnes fortunées ou privilégier les économies budgétaires qui pèsent sur les classes moyennes. Cependant, ces postures rencontrent une nette opposition qui réclame une convention fiscale réellement équitable et transparente.
Le débat autour de l’augmentation ou de la réforme de l’impôt ne doit pas s’éloigner de sa finalité sociale : garantir un financement suffisant et juste des services publics, réduire les inégalités, et accompagner une transformation écologique justifiée.
Des citoyens au cœur de la réforme fiscale
Au-delà des chiffres, l’enjeu est démocratique. Imaginer une fiscalité qui soit le fruit d’une délibération collective, où le peuple choisit les paramètres du barème, c’est redistribuer le pouvoir, réaffirmer la souveraineté et reconnecter l’impôt à sa fonction première : être un acte citoyen, non une contrainte subie ou un jeu d’optimisation pour initiés.
Une telle méthode pourrait transformer la relation des citoyens à la fiscalité, dériver vers une cohésion sociale renforcée, et offrir un levier concret pour financer les transformations écologiques indispensables.
Et la justice sociale, un horizon vraiment accessible ?
On ne peut ignorer que derrière ces réformes saura se dessiner une société différente : où la fiscalité serait réellement redistributive, au lieu de simplement masquer les écarts ; où la transformation écologique bénéficierait d’un financement garanti, au lieu d’attendre la bonne volonté des marchés ; où chaque euro taxé refléterait un choix citoyen.
Mais la route reste étroite. Entre les résistances institutionnelles, la complexité du système et les intérêts puissants, restaurer l’équilibre entre fiscalité et justice sociale ne relève pas seulement d’une réforme technique, mais d’un changement de paradigme politique et sociétal. Une question demeure : sommes-nous prêts, collectivement, à repenser l’impôt pour ce qu’il est, au-delà des chiffres, un levier d’équité et de responsabilité ?
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