En 2024, l’énergie éolienne terrestre pouvait produire de l’électricité à 0,034 dollar le kilowattheure, bien moins cher que la plupart des combustibles fossiles. Le solaire photovoltaïque, quant à lui, suivait de près à 0,043 dollar. Ces chiffres, révélés par un rapport récent de l’IRENA, dessinent une vérité désormais indéniable : les énergies renouvelables ne sont plus un luxe ou un gadget écologique, mais un levier économique puissant. Pourtant, cette évidence technique masque une réalité bien plus complexe, où la compétitivité des nations dépend de leur capacité à intégrer ces technologies et financer leur déploiement, tout en gérant des contraintes systémiques et géopolitiques aigües.
Une révolution économique sous-estimée
La baisse des coûts des renouvelables est bien plus qu’une embellie passagère. Depuis 2010, les technologies solaire et éolienne ont vu leurs prix chuter respectivement de 89% et 69%. Ce plongeon inédit s’explique par des innovations technologiques renouvelées, la maturation des chaînes d’approvisionnement et des économies d’échelle impressionnantes. En 2024, plus de 90% des nouvelles installations photovoltaïques ou éoliennes étaient plus compétitives que toute centrale neuve à combustibles fossiles. Cela a permis d’éviter près de 57 milliards de dollars en dépenses de combustible fossile cette même année.
Face à cette dynamique, on pourrait s’attendre à ce que toutes les nations se ruent dans cette voie. Or, le scénario est plus bariolé, avec des gagnants, des retardataires et des pays coincés entre vulnérabilité financière et contraintes techniques.
Au cœur de la compétitivité : l’intégration et le financement
Ce n’est pas tant le coût de production qui freine aujourd’hui que la capacité d’une nation à intégrer massivement ces sources sur ses réseaux électriques. Les projets éoliens et solaires ne payent pas seulement leur prix en équipements mais aussi en goulots d’étranglement, en délais d’autorisation, et en infrastructures locales inadaptées. Dans plusieurs grands pays du G20, les réseaux peinent à absorber la production intermittente, ce qui retarde des projets et empêche de tirer pleinement parti des avancées technologiques.
Cette question prend une tournure encore plus urgente dans les marchés émergents. Là, le défi n’est pas uniquement technique : il est avant tout financier. Le rapport de l’IRENA souligne que, bien que le coût par kilowattheure soit similaire entre l’Afrique et l’Europe pour l’éolien terrestre (autour de 0,052 dollar), la structure des coûts diffère profondément. Le coût du capital – c’est-à-dire la charge liée au financement des projets – est trois fois plus élevé en Afrique (12%) qu’en Europe (3,8%). La conséquence ? Des projets plus coûteux malgré des technologies identiques, freinant la compétitivité globale des pays concernés.
Guerres froides tarifaires et rivalités géopolitiques
Alors que les innovations poussent les prix vers le bas, le contexte géopolitique est loin de leur offrir un tapis rouge. La flambée des droits de douane, les pénuries temporaires de matériaux stratégiques et l’instabilité industrielle, notamment dans les chaînes d’approvisionnement en Chine, bouleversent l’équation économique des renouvelables. Ces incertitudes ajoutent une prime de risque, fragilisant les investissements et ralentissant la cadence des installations.
Paradoxalement, la transition énergétique d’une nation peut être mise en danger par des facteurs extérieurs, souvent géopolitiques, échappant au contrôle des gouvernements. Les conflits économiques autour des matières premières critiques et des technologies de pointe alimentent une nouvelle forme de compétition mondiale, où la souveraineté énergétique se mêle désormais à des enjeux stratégiques globaux.
Des outils et politiques pour briser le plafond de verre
Face à ces obstacles, l’essentiel des experts s’accorde sur la nécessité d’un environnement réglementaire clair et stable. Les contrats d’achat d’électricité (CAE), par exemple, sont devenus incontournables pour sécuriser les financements sur le long terme. En leur absence, les investisseurs hésitent à engager des capitaux, bloquant la transition vers une compétitivité durable.
Ce constat est crucial pour comprendre pourquoi certains pays peinent à exploiter leur potentiel renouvelable, malgré d’abondantes ressources naturelles. Instabilité politique, cadre réglementaire flou, manque d’infrastructures : autant d’obstacles que la seule technologie ne corrige pas.
Par ailleurs, les avancées dans le stockage d’énergie et les systèmes hybrides commencent à transformer la donne. Une baisse de 93% du coût des batteries industrielles depuis 2010 permet d’envisager des réseaux plus flexibles, capables d’atténuer l’intermittence du vent et du soleil. Cette évolution technique, combinée à une gestion intelligente via l’intelligence artificielle, devrait bientôt devenir indispensable. Mais, à nouveau, elle nécessite des investissements lourds, souvent hors de portée pour les pays en développement.
Implications humaines et économiques concrètes
Les arcanes économiques des énergies renouvelables ont un retentissement direct sur le quotidien. À court terme, cela peut signifier une facture énergétique plus stable et souvent plus basse pour les consommateurs, grâce notamment à une moindre dépendance aux fluctuations des cours internationaux des combustibles fossiles – qui restent imprévisibles et géopolitiquement sensibles.
À plus long terme, le passage réussi à une économie basée sur des énergies propres peut signifier une attractivité renforcée pour les investisseurs étrangers, la création d’emplois dans des secteurs innovants, et un renforcement de la sécurité énergétique. Par exemple, au-delà des frontières européennes, des pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique du Sud semblent bien placer leurs pions pour bénéficier de cette transition, à condition de surmonter les barrières financières évoquées.
Mais l’enjeu va au-delà de l’économie. La compétitivité des nations passera bientôt aussi par la capacité à réduire leur empreinte carbone et à s’adapter aux normes internationales toujours plus strictes, notamment dans le cadre des accords climatiques. Un retard pris sur ces standards pourrait signifier une marge commerciale réduite, des sanctions, voire une perte d’accès à certains marchés.
Une course au leadership climatique et énergétique
Le défi est posé : comment concilier ambition environnementale, compétitivité économique et équité sociale dans un contexte mondial tissé d’incertitudes ? Aucun pays ne pourra y parvenir seul. Le Directeur général de l’IRENA insiste sur la nécessité d’une coopération internationale renforcée, notamment pour sécuriser les chaînes d’approvisionnement et offrir des cadres investisseurs stables dans les pays du Sud.
À l’heure où le G20, la COP28 et d’autres instances mondiales discutent de la transition énergétique, la question centrale reste la vitesse à laquelle cette transition pourra être opérée, sans alourdir les inégalités existantes. L’urgence climatique dicte un tempo accéléré, mais la réalité économique impose une méthode pragmatique, adaptée et résiliente.
Alors que la lutte pour la maîtrise des technologies renouvelables s’intensifie, la compétitivité des nations ne sera plus seulement une affaire de ressources ou d’industries lourdes. Elle reposera de plus en plus sur la capacité à investir dans l’intelligence énergétique, les infrastructures modernisées, et surtout, dans une vision politique audacieuse qui conjugue efficacité économique et responsabilité environnementale.
Pour approfondir ces questions, le rapport « Transition énergétique : quels investissements pour l’avenir ? » offre une analyse fine des besoins financiers à venir, tandis que d’autres enquêtes sur la crise énergétique et ses conséquences économiques permettent de comprendre les défis à court terme qui pèseront sur la compétitivité des économies.
Enfin, l’éducation et les politiques de soutien local, évoquées dans « Education, moteur de croissance durable » et « Soutien aux économies locales : politiques efficaces », rappellent que la transformation énergétique est aussi une transformation sociale profonde.